Par l'Abbé Jacob YODA

Il y a deux situations dans lesquelles le mariage dans l’Eglise catholique n’est pas contracté entre deux catholiques. C’est le cas du mariage entre une personne baptisée dans l’Eglise catholique et l’autre n’a pas été baptisée et le mariage entre une personne baptisée dans l’Eglise catholique et l’autre dans une autre confession chrétienne [1]. C’est à ces deux réalités que nous allons maintenant nous intéresser..

A - Le mariage entre baptisé (e) et non-baptisé (e).

C’est ce que le droit de l’Eglise appelle « mariage dispar » ou mariage avec disparité de culte. On peut s’interroger sur la possibilité d’un tel mariage entre une partie baptisée et une partie non baptisée. Un tel mariage est en principe interdit. Car la disparité de culte fait partie des empêchements dits « dirimants », c’est-à-dire des empêchements qui rendent le mariage nul. Le droit canonique dit, à propos de la disparité de culte : « Est invalide le mariage entre deux personnes dont l’une a été baptisée dans l’Eglise catholique ou reçue dans cette Eglise et ne l’a pas quittée par un acte formel, et l’autre n’a pas été baptisée. » [2]

L’application de cette interdiction en vigueur déjà depuis l’ancien Code de droit canonique [3], a connu des phases d’application plus ou moins catégorique dans l’histoire de l’Eglise.

En effet, aux premiers siècles de l’Eglise, ce mariage a été strictement interdit pour une raison évidente : le danger qu’il constitue pour la foi de la partie catholique et pour l’éducation chrétienne des enfants. Pour qu’il y ait mariage à l’église, la partie non baptisée devait se convertir à la foi catholique.

Depuis lors, et plus tard avec l’avènement du Concile Vatican II, cette position de l’Eglise a été plusieurs fois assouplie donnant la possibilité à ceux qui veulent contracter un tel mariage de demander une dispense à l’autorité compétente. La dispense est une procédure qui consiste à lever l’obstacle en donnant l’autorisation à la partie catholique de contracter ce mariage. Mais comment se fait-il que la règle ait changé alors que le danger demeure ? Disons que cela est rendu possible au nom du droit au mariage que l’Eglise reconnaît à toute personne et au nom de la liberté religieuse déclarée par l’Eglise au Concile Vatican II. [4]

En effet, depuis longtemps et plus particulièrement depuis le Concile, l’Eglise catholique ne cesse de promouvoir et d’encourager le dialogue avec les autres religions en particulier avec le Judaïsme et l’Islam appelés aussi religions « monothéistes », c’est-à-dire qui professent la foi en un seul Dieu. Ce qui est différent de la plupart des religions animistes où l’on a souvent adoré plusieurs divinités. Toutefois l’Islam et le judaïsme restent différents du Christianisme. Car l’Eglise encourage le dialogue mais pas dans la confusion. La conception de Dieu, les manières de le nommer et de le prier sont différentes d’une religion à l’autre. La foi chrétienne en la Sainte Trinité est tout à fait inadmissible pour un musulman par exemple. Sans oublier que la manière de pratiquer chacune de ces religions conduit forcément à des manières de vivre différentes comme par exemple la manière de se marier et de vivre dans le mariage. De même certaines règles morales les opposent.

L’autorité compétente, c’est-à-dire, l’évêque, avant de concéder la dispense, doit d’abord s’assurer qu’il n’y a aucun danger susceptible de mettre en péril la foi de la partie catholique. Ces conditions doivent être remplies avant que l’autorisation ne soit accordée :

1ère condition : Que la partie catholique déclare qu’elle est prête à écarter les dangers d’abandon de la foi et promette sincèrement de faire tout son possible pour que les enfants soient baptisés et éduqués dans l’Eglise catholique ;

Commentaire : Que veut dire « faire tout son possible » ? Il s’agit pour la partie catholique de se donner les moyens d’une vie spirituelle régulière et en gardant le contact avec sa communauté d’origine. Elle doit prendre sa responsabilité dans la vie spirituelle du couple et ne pas évacuer cette dimension par un prétendu respect humain en se laissant mener par l’autre à sa guise. La partie catholique doit témoigner de sa foi et ne pas s’en désintéresser. Elle doit veiller avec sérieux à l’éducation religieuse des enfants. Les éventuels problèmes à ce niveau de l’éducation des enfants doivent être discutés à temps pour être résolus dans le dialogue. Il s’agit pour la partie catholique d’agir en toute transparence. Faire baptiser les enfants en cachette par exemple n’est pas une bonne solution.

2° condition : L’autre partie sera informée à temps des promesses de la partie catholique

Commentaire : Il peut arriver que la partie musulmane par exemple soit réticente quant à ces promesses. Ce qui est plus franc qu’une réaction à retardement souvent négative. Il convient tout de même d’avoir la patience de lui expliquer la position de l’Eglise. Ce sera le rôle de la préparation au mariage.

3° condition : Les deux parties doivent être instruites des fins et des propriétés essentielles du mariage. Aucun élément ne doit être exclu ni par l’un ni par l’autre des contractants.

En rappel, les fins et les propriétés essentielles renvoient à la fidélité, à l’acceptation de la procréation, à l’unité et à l’indissolubilité. C’est quand toutes les conditions sont remplies que l’autorisation est accordée à la partie catholique pour qu’elle contracte mariage avec la partie non baptisée. La partie catholique porte alors la plus grande responsabilité dans ce mariage.

Il est évident que l'accomplissement de ces conditions dépend aussi de la sincérité et de la bonne volonté de la partie non baptisée, mais davantage de la conviction et de l'engagement de la partie catholique. Car en définitive c'est sur elle que repose l’essentiel de cet engagement concernant le progrès de la foi catholique. La mollesse et l’indifférence ne pardonnent pas dans ce cas. Mais sur cet aspect de l’engagement de la partie catholique, on n’est parfois surpris de l’entendre dire de concert avec son futur conjoint non chrétien, par rapport à la religion des enfants : « Ils choisiront quand ils seront grands ». N’est-ce pas là un aveu de démission de sa part ?

Souvent, dans l’esprit du canon 1120 du Code de droit canonique qui donne à la conférence des Evêques la faculté d’élaborer un rite propre du mariage, certaines mesures sont prises afin de responsabiliser les futurs conjoints désirant célébrer un mariage islamo chrétien. On leur fait signer à chacun ce qu’on appelle « une déclaration d’intention », comme à tout futur couple d’ailleurs, pour s’assurer qu’ils comprennent l’esprit du mariage chrétien. Ils s’engagent à se marier en connaissance de cause dans le respect des règles de l’Eglise et de la religion de l’autre.

Il convient d’ajouter que si juridiquement l’autorité compétente peut accorder la dispense, cela ne va pas de soi, surtout s’il y a des signes qui montrent que celui qui demande la dispense ou son compagnon n’est pas sincère. A l’expérience, l’histoire retient que des écrits de papes sont venus exprimer la crainte de l’Eglise vis-à-vis des mariages mixtes en général et des mariages avec dispense de disparité de culte en particulier. Notamment le motu proprio [5] de Paul VI en 1970 qui dit que l’Eglise « déconseille de contracter des mariages mixtes ; son plus vif désir étant que les catholiques soient à même d’acquérir dans leur foyer conjugal une parfaite harmonie des esprits et une pleine communion de vie. » [6] La crainte de l’Eglise se justifie par le grand nombre d’échecs constatés dans les mariages mixtes. La réalité est bien triste même dans notre contexte actuel de l’archidiocèse de Ouagadougou, où près de « 9 mariages sur 10 » entre jeunes filles catholiques et des musulmans connaissent tôt ou tard un échec. Et dans tous les cas, même des musulmans le reconnaissent : l’idéal du mariage n’est ni dans les mariages mixtes, ni dans les mariages dispars. En effet, l’harmonie du couple ne peut être pleinement assurée. D’ailleurs la conception et les règles du mariage ne sont pas les mêmes chez les musulmans que chez les chrétiens, étant donné que le christianisme et l’islam sont issus de milieux culturels différents et souvent en opposition pour certains points.

Dans ce cas, faut-il imposer la conversion à la partie non baptisée en vue du mariage religieux ? La position de l’Eglise a toujours été claire là-dessus : on n’impose jamais le baptême pour permettre un mariage religieux. Il est même préférable de célébrer un mariage avec dispense de disparité de culte que d’imposer le baptême en dehors des exigences normales du catéchuménat, lequel suppose une disposition libre du catéchumène. Le baptême dans la vérité provient d’une conversion libre et sincère. Le choix libre du baptême est fondamental pour la bonne raison qu’il s’agit de s’engager sur la voie du salut. C’est pourquoi, en couple il faut même se garder de harceler l’autre pour qu’il se convertisse à tout prix. En réalité il n’y a pas d’autres conditions que les trois points cités plus haut.

N.B. Avant toute décision voici ce qu’il faut savoir sur le mariage musulman.

Les mariages islamo chrétiens étant de plus en plus fréquents dans notre contexte, il convient de savoir ce qu’est le mariage chez les musulmans. En effet, l’interprétation que font la plupart des musulmans sur ce que dit le Coran sur le mariage, c’est que la femme doit suivre la religion de son mari. C’est pourquoi dans beaucoup de cas, quand un musulman épouse une fille non musulmane, lui ou les membres de sa famille, exige, tôt ou tard, qu’elle se convertisse à l’islam. Dans la plupart des cas il faut s’attendre à cela à n’importe quel moment de la vie du couple. Et quand le mari est assez déterminé pour défendre sa femme, celle-ci est rejetée et mise à l’écart par les autres membres de la famille, notamment les frères et sœurs du mari. C’est cette idée sur la religion de la femme qui fait qu’il serait interdit à un musulman de marier sa fille à un non musulman.

Quant aux enfants, il faut savoir aussi que dans la conception musulmane les enfants d’un père musulman, surtout les garçons, suivent la religion de leur père. Avec les nombreux exemples que nous connaissons, il faut avouer qu’il est difficile sinon impossible à la femme non musulmane de pratiquer pleinement sa religion dans un mariage avec disparité de culte, étant donné le poids de la domination masculine dans la tradition familiale de la plupart de nos sociétés, sans oublier le fait que le conjoint musulman ne résistera pas trop longtemps à la forte pression familiale. Il ne faut pas penser qu’il sacrifiera sa famille à son foyer quel que soit l’amour qu’il porte à sa femme.

Les rares cas où un tel mariage a la chance de tenir, c’est quand les deux conjoints sont déterminés à assumer avec courage leur vie en rejetant toute ingérence extérieure.

Il ne faut pas l’oublier, dans le mariage musulman, il est permis au mari d’avoir plusieurs femmes. C’est du moins l’interprétation que la plupart font du Coran. Il convient de veiller chaque fois à ce qu’il soit mentionné clairement sur le certificat du mariage civil l’option pour la monogamie.

Toutefois le désir de l’Eglise en permettant ces mariages, est que les chrétiens et les autres croyants se donnent un témoignage de foi et d’amour véritable dans la compréhension mutuelle et le respect réciproque. Mais au regard des inconvénients, une conférence des évêques ou un évêque pourrait bien interdire ces mariages pour plus ou moins longtemps.

Toutefois, il est entendu qu’un mariage de ce genre conclu et vécu selon les normes et les exigences du mariage chrétien produira les mêmes effets et les mêmes fruits qu’un mariage sacramentel, entre baptisés.

B - Le mariage entre chrétiens de confessions différentes

C’est ce qu’on appelle à proprement parler « mariage mixte ». Son acceptation par l’Eglise repose sur les raisons que nous venons d’évoquer plus haut, à savoir, le dialogue entre les religions, qui prend la dénomination d’« œcuménisme » lorsqu’il s’agit du dialogue entre les religions chrétiennes dont l’objectif final est la pleine unité. Ce genre de mariage, selon le droit, requiert « la permission expresse de l’autorité compétente » [7] et est soumis aux mêmes conditions que le mariage avec disparité de culte. Toutefois, la manière dont l’Eglise considère cette catégorie de mariage n’est pas tout à fait la même que les mariages avec disparité de culte. En effet, le motu proprio de Paul VI cité plus haut marque bien cette différence fondamentale en reconnaissant au mariage mixte (entre catholique et autre chrétien) une valeur sacramentelle. En outre, l’Eglise considère qu’existe entre baptisés de confessions différentes, une certaine communion de biens spirituels qui fait défaut dans celui de conjoints dont l’un est baptisé et l’autre non baptisée [8]. Pour autant l’Eglise n’accepte pas qu’une partie, même catholique, oblige l’autre à suivre sa confession. Or c’est ce qui arrive souvent de la part de certains qui soumettent la partie catholique à leur confession quand bien même ils acceptent que le mariage soit célébré dans l’Eglise catholique. Cela est vraiment dommage et aucune raison ne l’explique. Il est aussi inexact de dire qu’entre chrétiens il n’y a pas de différence. Dans ce cas, pourquoi vouloir que l’autre se convertisse et pas vous ? L’on ne doit pas oublier les difficultés propres aux mariages mixtes entre baptisés que relève le document cité: « les conceptions différentes sur la nature sacramentelle du mariage, le sens profond de l’union contractée devant l’église, l’interprétation de certains principes moraux concernant le mariage et la famille, les limites qu’impose l’obéissance due à l’Eglise catholique, les domaines auxquels s’étend la compétence de l’autorité ecclésiastique. » [9]

Notes :

[1] Cf. cc. 1086, § 1 et 1124.

[2] C.1086, § 1.

[3] L’ancien Code de droit canonique avait été promulgué en 1917. Il a été en vigueur jusqu’en novembre 1983, date d’entrée en vigueur du nouveau Code.

[4] Cf. Vatican II, Déclaration sur la liberté religieuse (Dignitatis humanae).

[5] Le motu proprio, est un texte de loi écrit par le pape, de sa propre initiative, pour éclairer les fidèles et donner des instructions sur un ou plusieurs aspects de la vie ou de la pratique de l’Eglise. Par rapport à d’autres écrits, plus solennels, le motu proprio est plus simple dans sa forme.

[6] Cf. Documentation catholique (D.C), 1970, n° 1563, p.452.

[7] Cf. Canon 1124.

[8] Cf. motu proprio « Matrimonia mixta » in D.C., 1970, n°1563, p.453.

[9] Ibid.


Abbé Jacob YODA
Archidiocèse de Ouagadougou
Novembre 2009

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