Notre approche est évidemment différente quand il s’agit des synagogues et des mosquées, où se réunissent ceux qui adorent le Dieu unique.

Oui, certainement. Il en va tout autrement en ce qui concerne ces grandes religions monothéistes, à commencer par l’islam. Dans la Déclaration conciliaire Nostra Aetate, […], on peut lire : « L’Eglise regarde aussi avec estime les musulmans qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre » (Nostra Aetate, n°3). En raison de leur monothéisme, ceux qui croient en Allah nous sont particulièrement proches.

 

Je me souviens d’un événement de ma jeunesse. Nous visitions à Florence le couvant Saint-Marc, où nous admirions les fresques de Fra Angelico. Un homme se joignit alors à notre groupe, partageant notre émerveillement devant l’œuvre du grand artiste que fut ce moine, mais il ne tarda pas à ajouter : « Mais il n’y a rien là qui atteigne la beauté de notre monothéisme musulman ». Cette déclaration ne nous empêcha pas de continuer notre visite avec cet homme en discutant amicalement avec lui. A cette occasion, j’ai pu avoir comme un avant-goût de ce que serait ce dialogue entre christianisme et l’islam que l’on tente de développer systématiquement depuis le Concile.

Quiconque lit le Coran, en connaissant déjà le l’Ancien et le Nouveau Testament, percevra clairement le processus de réduction dont la Révélation divine y est l’objet. Il est impossible de ne pas être frappé par l’incompréhension qui s’y manifeste de ce que Dieu a dit Lui-même, d’abord dans l’Ancien Testament par les prophètes, ensuite de façon définitive dans le Nouveau Testament par son Fils. Toute cette richesse de l’auto-révélation de Dieu, qui constitue le patrimoine de l’Ancien et du Nouveau Testament, a été, en fait laissée de côté dans l’islam.

Le Dieu du Coran est appelé par des plus beaux noms connus dans le langage humain. Mais, en fin de compte, il est un Dieu qui reste étranger au monde. Un Dieu qui est absolument Majesté et jamais Emmanuel, « Dieu-avec-nous ». L’islam n’est pas une religion de rédemption. Il n’offre aucun espace à la Croix et à la Résurrection. Jésus est mentionné, mais seulement comme prophète qui prépare la venue du dernier de tous les prophètes, Mahomet. Marie aussi, la Vierge-Mère, est nommée. Mais le drame de la Rédemption est complètement absent. C’est pourquoi non seulement la théologie mais encore l’anthropologie de l’islam sont très éloignées de celles du christianisme.

Cependant, la religiosité des musulmans est digne de respect. On ne peut pas ne pas admirer, par exemple, leur fidélité à la prière. Sans se préoccuper ni du temps ni du lieu, celui qui nomme Dieu Allah tombe à genoux et se plonge dans la prière plusieurs fois par jour. Cette image reste un modèle pour ceux qui confessent le vrai Dieu, et en particulier pour ces chrétiens qui abandonnent leurs merveilleuses cathédrales et prient si peu ou ne prient pas du tout.

Le Concile a invité l’Eglise au dialogue avec les fidèles du Prophète, et l’Eglise s’y engagée dans cette voie. Nous lisons dans Nostra Aetate : « Si au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimités se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté » (Nostra Aetate, n°3).

Dans cette perspective, les rencontres de prière à Assise ont certainement eu, comme je l’ai déjà indiqué, une importance considérable, surtout dans la prière pour la paix en Bosnie en 1993. Il faut ajouter les rencontres avec les musulmans pendant mes nombreux voyages apostoliques en Afrique ou en Asie. Il est arrivé que la majorité des habitants du pays où je me rendais soient des fidèles de l’islam : eh bien, cela n’empêchait pas que le Pape soit chaleureusement accueilli ni qu’il soit écouté avec bienveillance.

Mon voyage au Maroc, où j’étais invité par le roi Hassan II, peut sans aucun doute être considéré comme un événement historique. Ce ne fut pas seulement une visite de courtoisie, mais un fait d’ordre vraiment pastoral. Inoubliable, cette rencontre avec les jeunes dans le grand stade de Casablanca (1985) ! L’ouverture des jeunes au discours du Pape sur la foi en l’unique Dieu est frappante. Il y a certainement eu là un événement sans précédent.

Cependant, les difficultés très concrètes ne manquent pas non plus. Dans les pays où les courants fondamentalistes prennent le pouvoir, les droits de l’homme et le principe de la liberté religieuse sont interprétés, hélas, de façon tout à fait unilatérale : par liberté religieuse, on entend la liberté d’imposer la « vraie religion » à tous les citoyens. La condition des chrétiens dans ces pays est parfois dramatique. Les attitudes fondamentalistes de ce genre rendent les contacts réciproques fort difficiles. Néanmoins, la disponibilité au dialogue et à la collaboration demeure immuable du côté de l’Eglise.

 

Bienheureux Pape Jean-Paul II
Dans : Entrez dans l’Espérance, Paris, Plon-Mame, 1994, 335 p.
Pages 149-154.

 

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