Textes : 1R 19,16b.19-21; Ga 5,1.13-18; Lc 9,51-62

Chers frères et sœurs,

« Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ ; il nous a bénis de toute bénédiction spirituelle dans les cieux en Christ » (Ep 1, 3) que sa grâce et sa paix demeurent avec vous. Nous remercions Dieu, le père de tous, qui nous donne l’occasion de nous rencontrer en ce jour béni du Seigneur, autour de la table de l’eucharistie, pour lui rendre grâce, pour le prier et lui confier toutes nos préoccupations, tous nos projets et nos soucis.

Cette célébration est aussi une rencontre de la famille, l’Église famille de Dieu, pour manifester notre fraternité, notre communion et notre joie dans la même foi en Jésus Christ qui nous aime et nous sauve. Nous disons merci à tous ; vous qui avez pris de votre temps et avez aménagé votre programme pour être ici aujourd’hui. C’est vrai, c’est un dimanche et c’est une obligation pour tout chrétien d’aller à la messe, mais vous avez choisi de venir particulièrement à cette messe parce que vous avez été invités et vous avez voulu répondre présent à cette invitation.

Cette rencontre dominicale est une grâce particulière, elle est providentielle, nous l’avions voulue depuis longtemps et c’est aujourd’hui qu’elle se réalise, selon le plan de Dieu, car pour Dieu toute chose arrive en son temps ; les hommes proposent et Dieu dispose, avons-nous coutume de dire.

C’est la première fois que nous vous rencontrons en tant que élus, cadres, hauts cadres et responsables catholiques pour prier ensemble, pour écouter la parole de Dieu et nous laisser instruire par elle, pour être capables de témoigner de notre foi de chrétien catholique partout où nous sommes en particulier dans nos milieux professionnels, dans les responsabilités que nous exerçons.

I- La parole de Dieu

La Parole de Dieu que nous avons entendue aujourd’hui vient à point nommé pour nous rappeler que les disciples de Jésus sont consacrés pour construire le Royaume. Le livre des Rois (1 R 19,16-21) relate le récit de la succession du prophète Elie. Sur l’ordre du Seigneur, Elie consacre Elisée, fils de Shafate pour lui succéder comme prophète. Elie et Elisée étaient les champions de fidélité au Dieu Unique. Ils étaient gardiens de la foi ancestrale. Ils ont consacré leur vie et toutes leurs énergies à ramener le Peuple au seul vrai Dieu. On peut comprendre ici que le récit de cette succession prophétique rappelle que Dieu reste et restera présent en permanence aux côtés de son Peuple. Pour les prophètes comme pour les Apôtres et pour tous les disciples de Jésus, l’appel de Dieu retentit au sein de la vie quotidienne, ordinaire et ne fait acception de personne. La radicalité de l’appel pour toute mission devrait être l’axe central de la vie de tout chrétien.

Dans l’Évangile de ce dimanche (Lc 9,51-62), Jésus se montre très intransigeant envers les trois candidats qui semblaient pourtant bien disposés à le suivre et qui demandaient un peu de compréhension, un peu de délais pour accomplir leurs « devoirs familiaux. » A celui qui veut aller d’abord enterrer son père, il dit : « Laisse les morts, enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le Règne de Dieu. » A celui qui demande d’aller faire ses adieux aux gens de sa maison, il dit : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de Dieu. » Au troisième, fasciné par Jésus et qui se propose de le suivre, il répond : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. » Jésus précise par là qu’il n’a ni toit, ni sécurité à offrir…Il n’est qu’un prophète itinérant, sobre et pauvre. Sa seule possession, c’est la croix…Les exigences de Jésus semblent inhumaines. En fait, ses exigences sont une façon de proclamer que le Règne de Dieu tout proche et que par conséquent, rien d’autre ne saurait compter face à cette réalité du Royaume. Jésus ne demande pas aux disciples de bafouer les liens familiaux ou ceux de la vie sociale, mais plutôt de construire leur vie dans la perspective de Dieu.

« A quoi sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme. »

Jésus, ayant perçu le dénouement final de sa mission, est monté à Jérusalem pour y affronter ceux qui détiennent le pouvoir. Aux disciples qui vont prendre le relai de sa mission, Jésus rappelle les exigences de toute vie engagée dans l’édification du Royaume.

II- Construire le Royaume de Dieu

Le mandat que Jésus a donné à ses disciples le jour de l’Ascension s’adresse à toute l’Église pour tous les temps et tous les lieux. Par ses membres laïcs, l’Église se rend présente et active dans la vie du monde. C’est dire que les fidèles laïcs ont un grand rôle à jouer aussi bien dans l’Église que dans la société.

- Le travail

L’homme a pour mission de participer à l’œuvre de Dieu dans le monde par son travail. Dominer et soumettre la terre (Gn 1,20) est le sens profond de sa mission terrestre et de sa vocation. En transformant la nature par son travail, l’homme doit la rendre en même temps plus humaine et plus semblable à Dieu. Et comme le souligne avec justesse la Concile Vatican II : « Le travail poursuit l’œuvre commencée par le créateur et permet à l’homme de coopérer à l’achèvement de la création. » (G.S, n. 67, 2). En outre, le travail peut être un lieu de réalisation personnelle très positif avant même d’être un moyen de profits. Par le travail, l’homme est au service de ses frères et sœurs, de sa famille et de la société.

- Au service de la justice et de la paix

Les chrétiens sont appelés à témoigner du Christ par la promotion de la justice et de la paix dans le monde entier. « Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu. Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5,9-10).

Le témoignage de l’Église doit aller de paire avec l’engagement déterminé de chacun des membres du Peuple de Dieu pour la justice, la solidarité et la paix. Ceci est particulièrement important pour les laïcs qui occupent des fonctions publiques ; leur témoignage exige un état d’esprit et un mode de vie en harmonie avec la foi chrétienne (cf. E.I.A, n. 105).

- La bonne gestion des affaires publiques

Les Pères de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques de 1994 furent unanimes à reconnaître que le plus grand défi pour réaliser la justice et la paix en Afrique consiste à bien gérer les affaires publiques dans les deux domaines connexes de la politique et de l’économie. Beaucoup de problèmes de notre continent africain et de notre Burkina Faso en particulier sont la conséquence d’une manière inadéquate de gouverner et de gérer, souvent entachée de corruption. Il faut un véritable éveil des consciences avec une ferme détermination de la volonté d’opérer la conversion et les changements nécessaires et cela, sans délai. (cf. E.I.A, n. 110)

- Sel de la terre et lumière du monde

L’Église peut-elle vraiment jouer un impact réel pour une société renouvelée ? Les Pasteurs ont beau promulgué des exhortations et des lettres pastorales, rien ne pourra changer dans la vie publique sans l’engagement des fidèles catholiques. Comme le dit si bien le Pape Saint Jean-Paul II, qu’ils soient professionnels ou enseignants, hommes d’affaires ou fonctionnaires, agents de sécurité ou hommes politiques, on s’attend à ce que les catholiques témoignent bonté, vérité, justice et amour de Dieu dans leurs activités quotidiennes. « La tâche du fidèles laïc est d’être le sel de la terre et la lumière du monde dans le quotidien de la vie et en particulier partout où il est le seul à pouvoir pénétrer. » (E.I.A, n. 108).

- Collaborer avec les autres croyants

Collaborer pour le développement du pays est un impératif pour tous les citoyens pris individuellement et collectivement. « Aya ! Aya ! ti sugr doog zêke », enseigne un proverbe de notre savane. C’est ensemble qu’on peut soulever la toiture pour la poser sur la murette de la case. Les fidèles laïcs et l’ensemble de l’Église doivent collaborer avec les autres confessions religieuses (musulmans, protestants, adeptes de la religion traditionnelle) et œuvrer en synergie avec la chefferie coutumière et les autres forces vives de la société pour promouvoir un développement intégral de l’homme et de tous les hommes. (E.I.A, n. 109). C’est la condition sine qua non pour bâtir un monde meilleur, un Burkina nouveau plus digne de Dieu et des hommes.

III- Conditions et moyens pour construire le Royaume de Dieu

Tous les Fils et filles de l’Afrique sont appelés à la sainteté et à être des témoins du Christ. L’évangélisation, par l’action du Saint Esprit, se fait à travers le témoignage de la charité, le témoignage de la sainteté. Au nombre des conditions ou moyens figurent :

- La formation

Le magistère pontifical n’a de cesse d’insister sur la nécessité de former les laïcs pour qu’ils puissent bien assumer leur rôle dans la société. Cela requiert la mise sur pied d’écoles ou de centres de formation biblique, théologique, spirituelle, liturgique et pastorale. Saint Jérôme nous rappelle que l’ignorance des Écritures, c’est l’ignorance de Jésus-Christ. Alors un chrétien, une Bible, un leader chrétien une Bible…notre livre de chevet, lumière pour nos pas et notre agir quotidien.

En outre, les décideurs chrétiens et les laïcs qui ont des responsabilités d’ordre politique, économiques et sociales devront s’armer d’une solide formation sur la doctrine sociale de l’Église qui fournit des principes d’action conformes à l’Évangile. Ainsi pourront-ils être de « véritables ambassadeurs du Christ » (2 Co 5, 20) dans l’espace public, dans leur milieu d’action, au cœur du monde. Leur témoignage chrétien ne sera crédible que s’ils sont des professionnels compétents et honnêtes (E.I.A, n. 90 ; AM, n. 128).

- Évangéliser la famille

L’Exhortation Apostolique « Familiaris Consortio » affirme bien que l’avenir du monde et de l’Église passe par la famille » (F.C, n. 75). En effet, non seulement la famille est la première cellule de la Communauté ecclésiale vivante, mais aussi celle de la société.

Dans son Exhortation Apostolique « Amoris Laetitia » (la joie de l’amour), le Pape François présente bien que le mariage et la famille constituent une véritable vocation. L’homme et la femme sont appelés à réaliser constamment la « communauté de vie et d’amour » (GS, n. 48). Les ombres et les lumières ne maquent guère. Mais « Amoris Laetitia » entend rappeler avec force non l’idéal de la famille mais sa réalité riche et complexe. Aux couples heureux, félicitations et courage. Aux couples en difficultés, l’Église apporte un nouvel encouragement au discernement responsable à l’accompagnement et à l’intégration dans une logique de la miséricorde pastorale (AL, n. 311ss).

L’évangélisation de la famille constitue une priorité, si l’on veut qu’elle assume à son tour un rôle de sujet actif dans la perspective de l’évangélisation des familles par les familles. A ce propos, la Sainte Famille de Nazareth est proposée comme « prototype et exemple de toutes les familles chrétiennes, le modèle et la source spirituelle « pour toute famille chrétienne » (E.I.A, n. 80-81).

- S’organiser en associations

En vue de pouvoir soutenir et assurer la formation continue de la conscience chrétienne, il s’avère utile d’organiser les laïcs en associations ou groupes sociaux par affinité et catégories professionnelles : les hommes d’affaires catholiques, les parlementaires, les banquiers, les médecins, les avocats, les magistrats, etc. C’est la pastorale des groupes sociaux, l’apostolat du semblable par le semblable…L’intégration de l’élite dans le Communautés Chrétiennes de Base (CCB) semble difficile au niveau des quartiers. L’organisation en associations professionnelles à l’instar des mouvements d’action catholique est possible sans exclure une certaine présence à la vie de la CCB. « Yembr noom me, yiibu n yiide » (On est toujours mieux à deux que seul).

Chers amis, vous êtes invités à vous organiser pour entretenir la flamme vivante de votre baptême et de votre foi afin de pouvoir ensemble être « sel de la terre et lumière du monde. »

- Pour des responsables politiques saints ?

Chers amis, on ne nait pas saint, on le devient. Et la sainteté n’est propriété privée de personne. Au Synode d’octobre 2015, pour la première fois dans l’histoire de l’Église, le Pape François a canonisé deux époux, Louis et Zélie Martin, parents de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. L’assemblée synodale de 1994 a fait monter une prière fervente afin que surgissent en Afrique des responsables politiques – hommes et femmes- saints et qu’il y ait de saints chefs d’États qui aiment leur peuple jusqu’au bout à la manière du Christ, venu donner sa vie pour servir plutôt que de se servir ou d’être servi. Pour l’Église, l’autorité n’est rien d’autre qu’un service.

En cette année de la Divine Miséricorde, demandons la grâce d’une vraie conversion du cœur et de mentalités afin que notre témoignage de disciples de Jésus soit plus fort et plus efficace. Daigne le Seigneur nous entendre et nous exaucer par l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de l’Église et notre Mère.

+Philippe Cardinal OUEDRAOGO,
Archevêque Métropolitain de Ouagadougou