Il ressort de l’exposé précédent que la seconde période de la vie de Mahomet, celle qui suit l’Hégire, est beaucoup plus chargée de faits que la première. Du moins elle s’éclaire davantage à la lumière de l’histoire et nous montre le Prophète aux prises avec des puissances diverses dont il triomphe tour à tour : compatriotes endurcis dans leur incrédulité, juifs médinois inconvertissables et railleurs, chrétiens du Najrân apparemment dociles, tribus bédouines retorses, sans parler de ses adeptes, Muhâjirûn et Ansâr.

Qu’en est-il en fonction de cette période de sa vie, du message prophétique ?

On y reconnaît généralement un changement important. La critique y découvre même un apport entièrement nouveau et, pour ne pas parler d’un renversement total des données et des valeurs, décèle dans la prédication médinoise, des éléments originaux qui auront déterminé l’essence de l’Islam en tant que religion et en tant qu’Etat.

Une présentation sommaire de ce point de vue peut être ainsi formulée :

Durant la période mekkoise [1], Mahomet est « un prophète comme un autre ». Il menace ses contribules des foudres du jugement de feu et de l’Enfer. Il tâche également de les allécher par la promesse des délices paradisiaques et d’attirer ainsi leur cœur vers Dieu. Ses « preuves » en faveur de l’unicité divine sont prises dans le spectacle de la nature qui est un « signe » de la création, elle-même « signe » de la résurrection finale (et de la rémunération). Les histoires des prophètes dépêchés chacun à son peuple pour lui parler en sa propre langue, illustrent cette même et invariable doctrine sur le Dieu unique, maître du monde et juge universel.

La situation est complètement changée à Médine, grâce, en particulier, au contact et à la lutte avec les juifs. A la Mekke, le Prophète aura bien rencontré des juifs et des chrétiens. Mais il en aurait juste appris quelques données d’histoire sainte et se serait contenter d’affirmer l’incompatibilité de la filiation divine de Jésus avec le dogme de l’unicité transcendante d’Allah. Ayant vainement cherché durant les premiers mois de son séjour d’exilé à gagner leurs faveurs et à les attirer dans son camp, c’est leur opposition irréductible qui, avec des données essentielles d’histoire religieuse qu’il apprend d’eux à ce moment-là seulement, lui donne conscience à la fois de son rôle de fondateur de religion et de chef d’Etat. Il se détourne de Jérusalem, se tourne vers la Mekke et c’est alors que l’Islam naît. Il naît donc d’une inspiration étrangère définie. Il naît d’une inspiration commandée surtout par des facteurs politiques. Cette inspiration nouvelle commande elle-même l’ensemble de sa carrière prophétique et notamment de la période antérieure. Le message primitif trouve une nouvelle naissance dans l’Islam politique, codifié à Médine.

Notes :

Translittération de l’arabe : En dehors des transpositions courantes des noms et des mots arabes (Mahomet pour Muhammad, Coran pour Qur’ân, etc.), nous avons adopté un système de translittération dénué de technicité, mais permettant au lecteur non initié d’approcher au mieux la prononciation de l’original. Ce manque de technicité, qui ne comporte aucun risque d’erreur pour ceux qui savent, n’en cache pas davantage pour ceux qui ignorent.

[1] Ordre chronologique des sourates :

A. Les sourates « descendues » à la Mekke ; la première période, entre 610-611 et 615-616 : 96, 74, 111, 106, 108, 104, 107, 102, 105, 92, 90, 94, 93, 97, 86, 91, 80, 68, 87, 95, 103, 85, 73, 101, 99, 82, 81, 53, 84, 100, 79, 77, 78, 88, 89, 75, 83, 69, 51, 52, 56, 70, 55, 112, 109, 113, 114, 1. Deuxième période, de 616 à 619 : 54, 37, 71, 76, 44, 50, 20, 26, 15, 19, 38, 36, 43, 72, 67, 23, 21, 25, 17, 27, 18. Troisième période de 619 à 622 : 32, 41, 45, 16, 30, 11, 14, 12, 40, 28, 39, 29, 31, 42, 10, 34, 35, 7, 49, 6, 13.

B. Les sourates « descendues » à Médine : 2, 98, 64, 62, 8, 47, 3, 61, 57, 4, 65, 59, 33, 63, 24, 58, 22, 48, 66, 60, 110, 49, 9, 5. (Cf. ABD EL-JAHL, o. c., p. 204).

Y. MOUBARAC
Dans : L’Islam, Paris, Casterman, 1962, 213 p.
Pages 22-24.

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