III. Des repères pour résoudre le paradoxe de Jésus

La vision béatifique est la conscience que le Christ avait de sa divinité. Elle est la conscience de sa relation filiale unique avec le Père. En raison de l’Incarnation, Jésus se dépouille de toute prérogative divine mais reste en communion avec Dieu dans sa conscience d’homme. Or il lui faut révéler le Père dans cette condition humaine. D’où sa science infuse qui le fait ressembler aux prophètes comme envoyé de Dieu pour une mission précise. Quant à sa science acquise elle atteste son existence humaine réelle. Ainsi trois repères se dégagent de l’Incarnation pour expliquer les hésitations et la nescience du Fils de Dieu fait homme. Ces repères constituent les trois aspects d’une même réalité : la kénose. C’est en fait la kénose de Jésus vue sous trois angles.

A. La kénose du Christ

Le Verbe de Dieu s’est fait homme et a ainsi assumé une existence humaine authentique selon l’enseignement de l’Église catholique. Pour que le Christ, vrai Dieu puisse mener une vie humaine véritable, une nécessité s’imposait, à savoir l’abaissement ou la kénose. Le terme « kénose » dérive du mot grecque « kenosis », lui-même tiré de « kenos» qui signifie vide, dépouillé. La kénose de Jésus, c’est donc le dépouillement qu’il a fait de sa gloire et de certaines de ses prérogatives divines. Avec l’Incarnation, le Christ a accepté librement de s’abaisser, en unissant sa divinité à la nature humaine faite de limites manifestées dans la chair. En prenant la condition de serviteur (Ph 2, 6-11), Jésus sans cesser d’être Dieu, a remis entre les mains de son Père, toutes ses prérogatives divines telles l’omniscience, la toute-puissance …. Ainsi il a pu, sans simulation, être un homme véritable, ce qui lui valut de traverser comme tout homme des moments sombres dans sa vie. En considérant l’état kénotique de Jésus, on peut comprendre aisément qu’il ait connu selon son humanité (en communion avec la divinité) des hésitations et des doutes lors de sa vie sur terre (Mc 14, 36 ; Mt 26, 42 ; Lc 22, 4) ;qu’il ait connu la souffrance et ignoré certaines choses. La vision béatifique définie comme la conscience qu’il avait de sa divinité, n’exclut pas ces propriétés ou aspects qui sont purement des caractéristiques de l’humanité de Jésus. Et comme les deux natures sont unies, quand Jésus souffre ou ignore, c’est Dieu qui souffre ou ignore selon la communication des idiomes.

B. La science kénotique du Christ

Cet aspect découle de l’état kénotique de Jésus. La kénose telle que définie plus haut va au-delà de la chair prise par le Fils de Dieu. A cet effet, un théologien déclare : « elle doit s’estimer aussi par rapport au Père : c’est la transformation du rapport d’égalité du Fils au Père en rapport d’inégalité et de soumission et de leur lien d’intimité en éloignement » (B. SESBOUE, Pédagogie du Christ, Cerf, Paris, 1997, p. 160).

Dans cette perspective, le Christ en se soumettant au Père a renoncé à l’exercice de sa science divine qu’il possède en propre. Il a voulu être dépendant du Père et ainsi recevoir de ce dernier tout ce qui a trait à sa mission. La science du Verbe Incarné n’est plus alors la même que celle du Verbe avant l’Incarnation historique car il a accepté de penser en une intelligence humaine à travers l’exercice de sa science infuse et acquise. Dans cette science à l’état kénotique, le Christ selon B. Sesboué, « attend toutes les communications de la science divine du bon plaisir du Père, qui les lui accorde quand et comme il juge opportun que son Fils nous la révèle » (Ibidem, p.161). Jésus, renonçant à l’exercice de sa science divine a donc vécu à la manière d’un prophète qui cherche, scrute et découvre la volonté du Père. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’ignorance que Jésus avait à propos de la parousie en Mc 13,3. Elle était une réalité qui relevait de la science kénotique, c’est-à-dire la science de Jésus dépouillé de sa science divine qui lui appartenait de droit. A l’état kénotique de Jésus, correspond alors une science kénotique qui ne doit nullement occulter la divinité de Jésus.

C. La mission de Jésus

En s’incarnant, le Christ avait une mission : celle de révéler le visage du Père et son dessein de salut pour l’humanité. Cette mission révélatrice de Jésus lui exige une attitude d’obéissance et de soumission à la volonté de Dieu, un autre aspect de la kénose. Comme on l’a fait remarquer, la nescience de Jésus fait partie de son état kénotique et sa vision béatifique n’englobait pas tout mais s’étendait aux rapports personnels qu’il avait avec Dieu. Sa connaissance infuse prophétique ne recouvrait que ce qu’il devait nécessairement connaître pour réaliser sa mission. Et donc la révélation du jour du jugement qui ne relevait pas de sa mission, on peut affirmer qu’il ne le connaissait pas. Reconnaissons, dans le sens de l’accomplissement de sa mission, que la vision béatifique du Fils de Dieu, sa nescience, ses sciences infuse et acquise ne s’opposent ni ne s’excluent. Jésus n’a voulu simplement connaitre du Père que ce qui avait trait avec sa fonction révélatrice.

Avec le repère de la mission, on peut distinguer en Jésus : l’être fonctionnel de Jésus et son être ontologique. L’être fonctionnel du Christ relève de la kénose, c’est-à-dire de sa soumission à la volonté de Dieu avec tout ce que cela comporte comme dépouillement. Sous cet angle, il n’est pas alors étonnant que Jésus doute, ignore ou souffre dans sa mission terrestre. Dans son être fonctionnel, le Christ demeure le même dans sa divinité qui s’exprime dans les limites de la chair. Cette divinité constitue son être ontologique dont il a occulté les prérogatives. Dans son être fonctionnel, Jésus se situe par rapport à sa mission qui s’accomplit dans une soumission totale à Dieu. Pour sa mission, « le Fils incarné ne peut pas savoir par lui-même ce qu’il a réservé au Père de lui faire connaitre » (B. SESBOUE, op.cit., p.162). Il est aussi important de préciser que le Christ dans sa kénose, était en parfait accord avec la volonté de Dieu et le sens de sa mission. Ce n’est qu’après sa mission que le Fils entrera dans sa gloire par la Résurrection.

Abbé Apollinaire DIBENDE
Archidiocèse de Ouagadougou
Janvier 2004

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