II. Science divine et psychologie humaine du Christ

A partir de l’union hypostatique, on distingue en Jésus une dualité de science, une conséquence de la dualité de volonté et d’opération précisée à Constantinople en 681. En effet, selon un principe philosophique, la connaissance est la source de l’action ; ainsi si l’on admet deux volontés et opérations dans le Christ, il faut lui attribuer aussi deux sciences : une science divine et une science humaine.

A. La science divine du Christ

La science divine appartient en propre à Jésus du fait même de sa divinité. Le Christ, en raison de son essence divine possédait une intelligence divine, incréée et commune aux autres personnes de la Trinité. Admettre que Jésus ait une science divine est une conséquence directe de sa divinité et, en tant que Fils éternel du Père, il a depuis toujours possédé cette science. L’omniscience et la perfection absolues constituent à n’en pas douter les caractéristiques de cette science divine de Jésus.

Mais avec l’Incarnation historique, le Fils a-t-il perdu sa science divine ? Parce que le Verbe s’est incarné, il n’a pas perdu sa science divine ; autrement il serait moins que Dieu. Or l’incarnation ne modifie en rien l’être même du Fils de Dieu.

Il se pose tout de même un problème : comment la science divine de Jésus passe-t-elle dans une intelligence humaine ? Pour répondre à cette question, l’enseignement de l’Église attribue au Christ une psychologie humaine un peu complexe.

B. La science humaine de Jésus

Par l’Incarnation, le Verbe de Dieu a pris notre condition d’homme en toute chose à l’exception du péché. Tout en étant Dieu, il avait une âme humaine et partant une psychologie humaine dans laquelle on distingue la vision béatifique, la science infuse et la science acquise.

1. La vision béatifique

La vision béatifique dans sa définition stricte est la vision dont jouissent les bienheureux au ciel. Ces derniers, dans un face à face, bénéficient de la vision bienheureuse de Dieu. En ce qui concerne la personne de Jésus, la notion de « vision béatifique » a fait l’objet de débats théologiques. Au début, on a pensé que Jésus durant sa vie sur terre, était dans une vision permanente de Dieu, vision semblable donc à celle des saints. En 1918 un décret du Saint-Office émet des réserves quant à ce point de vue. Mais l’Encyclique « Mystici corpus » du Pape Pie XII en 1943, affirme de nouveau que Jésus a joui de la vision des bienheureux dès l’Incarnation et cela en plus de la conscience qu’il avait de sa divinité. Concevoir la vision béatifique de Jésus de la sorte suppose qu’on lui attribue une omniscience qui serait presque incompatible avec les limites de sa connaissance humaine. Avec la Christologie actuelle, la conception de la vision béatifique a évolué. Elle est non comme « la contemplation d’un objet mais comme la conscience que Jésus possède de sa personnalité » (P. Schoonenberg, Il est le Dieu des hommes, Cerf, Paris, 1973, p.126). Il s’agit alors selon les expressions de Schoonenberg d’une « contemplation immédiate (…), une conscience immédiate mais non (…) une plénitude béatifiante » (Idem, p. 126).

La vision béatifique chez Jésus est donc la conscience immédiate qu’il a de sa divinité et de son lien unique avec Dieu. C’est pourquoi Karl Rahner et Jacques Dupuis, deux éminents théologiens préfèrent parler de « vision immédiate » pour le Christ.

Cependant on ne peut exclure le fait que Jésus à certaines étapes de sa vie, ait bénéficié de lumière de la part de son Père comme au baptême et à la transfiguration. Ces illuminations éclairent vivement la conscience du Christ dans la réalisation de la volonté du Père.

2. La connaissance infuse

Certains théologiens nient cette connaissance en Jésus. Ils la trouvent superflue en raison de la vision béatifique de Jésus. Mais c’est sans compter que la vision immédiate du Christ ne lui conférait pas une omniscience dans son intelligence humaine. Comme le dit Dupuis : « Elle s’étendait principalement aux rapports intra-trinitaires vécus par Jésus dans sa conscience humaine » (Jacques DUPUIS, Homme de Dieu, Dieu des hommes, Cerf, Paris, 1995, p. 183). Il fallait donc que Jésus ait un type de science qui devait l’aider dans l’exercice de sa mission d’autant plus que la vision béatifique avait un caractère ineffable. La science ou connaissance infuse du Christ est le moyen par lequel s’est effectué une transposition béatifique en savoir conceptuel communicable. Jésus dans la réalisation de sa mission de révélation du Père, a appris de Dieu tout comme les prophètes, ce qu’il devait savoir pour cette fin. La nécessité de « formes de connaissance directement adaptées à la fonction révélatrice » (C. CHOPIN, Le Verbe Incarné et Rédempteur, Tournai, Desclée, coll. « Le Mystère chrétien ») s’imposait donc. La science infuse du Christ était ordonnée complètement à la réalisation de sa mission et elle renfermait le nécessaire à savoir : le sens profond des Écritures, l’intuition du plan divin, le sens de sa mort. Jésus n’avait pas besoin de connaitre plus que cela. En admettant que Jésus ait possédé la science infuse, on peut comprendre l’ignorance du Christ concernant la parousie et ses hésitations devant la mort.

3. La science acquise

La connaissance acquise de Jésus s’inscrit dans le cadre de l’affirmation et de l’acceptation de sa condition humaine. Ayant évolué dans sa conscience d’homme et dans des conditions humaines selon une histoire, la personne de Jésus a acquis, en contact avec son milieu de vie et ses contemporains, des connaissances. Ces connaissances constituent sa science acquise, science qui ne manque pas de limites ou d’erreurs liées à son époque. La science acquise de Jésus a sans doute connu des progrès comme l’atteste l’évangéliste Luc (Luc 2, 52). A ce propos, Chopin affirme : « Jésus a progressé en cette science acquise comme en son milieu social, par le travail abstractif de la méditation et de la réflexion » (C. CHOPIN, Le Verbe Incarné et Rédempteur, p. 98). La science acquise atteste vraiment que Jésus a assumé une existence humaine réelle avec ses limites. Tout cela vient éclairer un peu le mystère de sa personne. Une science divine et une science humaine, voila ce qui peut nous aider à concilier les perfections et imperfections que renferme la personne du Jésus. Alors quels sont les repères possibles pour cette conciliation ?

 

Abbé Apollinaire DIBENDE
Archidiocèse de Ouagadougou
Janvier 2004