Cette question du préservatif est difficile et fait l’objet d’une grande incompréhension entre l’Eglise et l’opinion publique. En effet, l’Eglise et le monde ne parlent pas toujours le même langage en matière de mœurs et d’éthique. Même quand l’autorité ecclésiastique ne dit rien on interprète son silence dans un sens négatif. La question qui est souvent posée est donc : peut-on, oui ou non, utiliser le préservatif ?

Telle que je comprends la position de l’Eglise, elle considère que la question mériterait d’être mieux posée.

Dans sa forme, la manière de poser la question est critiquable. En effet, il n’appartient pas à l’Eglise d’ordonner par décret tel ou tel comportement ou de l’interdire. L’important pour elle étant de dire le message en interpellant et éclairant les consciences sur ce qu’elle estime être salutaire pour l’homme.

Dans le fond, poser la question en ces termes reviendrait à prendre le port du préservatif comme une fin en soi. Or il s’agit d’un moyen dont le rôle supposé est très ambigu par ailleurs: pour les uns, l’utilisation du préservatif permet d’éviter une grossesse non désirée ; pour les autres c’est le moyen le plus sûr sinon le seul contre le VIH/SIDA et les infections sexuellement transmissibles (IST), aussi bien dans des pratiques sexuelles tant légitimes que déviantes. Dans un cas comme dans l’autre, les situations dans lesquelles cette utilisation est préconisée sont souvent mal définies et embrouillées en raison de l’ambiguïté inhérente aux questions liées à la sexualité. Et malgré cette disparité l’on veut que l’Eglise donne une réponse globale.

Il faut également savoir que la question de l’utilisation des moyens artificiels de régulation des naissances avait fait l’objet d’une position de l’Eglise par la voix de Paul VI qui déclare illicite : « …toute action qui, soit en prévision de l’acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation. »[1]

Même en matière de procréation, l’Eglise ne conçoit pas celle-ci en dehors de l’union conjugale qui est expression du don réciproque des époux et de leur union en une seule chair. Par contre la position de l’Eglise n’exclut pas « nécessairement l’emploi de certains moyens artificiels destinés uniquement soit à faciliter l’acte naturel, soit à faire atteindre sa fin à l’acte naturel normalement accompli » [2]. Et la Congrégation pour la doctrine de la foi de poursuivre : « Si le moyen technique facilite l’acte conjugal ou l’aide à atteindre ses objectifs naturels, il peut être moralement admis. Quand, au contraire, l’intervention se substitue à l’acte conjugal, elle est moralement illicite. » [3] Disons que ce qui vient d’être dit s’applique plus exactement à la question de la procréation artificielle.

Pour en revenir à la question de l’utilisation ou non du préservatif, il faut reconnaître que jusqu’à une date récente, il n’y a pas eu de déclaration officielle de l’autorité suprême de l’Eglise sur le sujet comme tel. Aussi certains se contentent-ils de déductions quant à la position de l’Eglise sur la question en se rapportant à ses positions habituelles sur des questions analogues liées à la sexualité. Il va également de soi que l’Eglise ne peut se déjuger en adoptant des positions contradictoires.

De plus, comme nous le disions plus haut, la question est souvent mal posée. En effet, ceux qui, souvent des adultes, voudraient entendre l’Eglise se déclarer pour le préservatif font de l’amalgame en ayant des visées ambiguës. Intentionnellement ou non, ils créent la confusion chez les adolescents qu’ils incitent par des campagnes tapageuses et très médiatiques à des conduites dangereusement à risque. En effet, en poussant les adolescents à l’utilisation tous azimuts du préservatif certains limitent la responsabilité de ces jeunes à la seule protection physique, ce qui ne suscite pas nécessairement chez eux une attitude responsable. Là-dessus certains adultes induisent les jeunes en erreur.

La question est encore mal posée et la solution superficielle, dans la mesure où en proposant unilatéralement le préservatif l’on a tendance à s’attaquer au problème de la seule contagion au lieu de s’attaquer au mal à la racine.

Ce n’est pas que l’Eglise soit indifférente à la cause humaine et insensible à la souffrance des personnes infectées par le VIH/ SIDA. Au contraire, elle craint que les solutions habituellement préconisées comme les seules valables, n’induisent les gens en erreur et ne les conduisent à l’insouciance. C’est pourquoi elle insiste pour dire que la seule conduite qui vaille et qui paye est celle de l’abstinence et de la fidélité. L’Eglise estime qu’en matière d’éducation des peuples l’on ne peut se contenter de demi-mesure ou du minimum en se disant que de nos jours l’abstinence et la fidélité relèvent de l’héroïsme. Et ce d’autant plus que ceux qui préconisent le préservatif ne disent pas toute la vérité quant à la fiabilité limitée de celui-ci. Ils devraient donc être plus objectifs dans la présentation des solutions qu’ils proposent. Il faut avoir le courage de dire que le préservatif ne constitue pas un moyen sûr à 100 % contrairement à certaines opinions. Et c’est dommage de le présenter souvent comme tel en occultant les autres moyens. Nous pensons que dans un cas comme dans l’autre, un discours équilibré consisterait à relever le niveau de conscience de chacun en le mettant face à sa responsabilité et en n’excluant aucun moyen d’exercer cette responsabilité pourvu qu’elle vise le respect de la vie et de la dignité de la personne. Certes l’Eglise est consciente de son devoir de charité et de miséricorde mais il n’empêche qu’elle doit aussi livrer un message de vérité afin d’empêcher le plus grand nombre de contracter le virus.

Certains regrettent que la position de l’Eglise ne varie pas et surtout ne change pas sur la question. C’est oublier que l’enseignement de l’Eglise n’est ni superficiel ni circonstanciel. La vérité qu’elle vise dans son discours n’est ni négociable ni provisoire. Pour être sensible à la souffrance humaine l’Eglise n’en est pas moins véridique sur son message. Plutôt que de parler « préservatif » elle préfère se prononcer sur le fond du problème. Elle prône une morale constructive et intégrale et ne se satisfait pas d’une simple morale de situation. En effet l’abstinence et la fidélité intéressent à tout moment tout homme et toute femme. Elles vont au-delà de la question du VIH/SIDA.

Il convient de savoir que l’Eglise, tout en comptant sur la bonne volonté de ses interlocuteurs, n’exclut pas pour autant l’exercice de leur responsabilité. Responsables ils doivent l’être dans leur comportement, qu’ils soient bien-portants ou malades, qu’ils soient séropositifs ou séronégatifs. Dans toute situation, il appartient à chacun de se conduire en toute responsabilité dans le strict respect de sa propre santé, de sa vie et de celles d’autrui.

Pour terminer, il faut aussi reconnaître que l’enseignement que l’Eglise dispense, tout en ne faisant pas de distinction entre les hommes n’est pas non plus anonyme. C’est pourquoi en matière de morale l’on ne peut traiter tout le monde globalement et indistinctement face à des questions certes communes mais qui atteignent dans des circonstances différentes les uns et les autres. C’est pourquoi dans certains cas particuliers, face à des mesures générales, la manière d’appréhender les problèmes sera différente. Aussi est-il conseillé que les fidèles puissent s’adresser personnellement à leurs pasteurs à propos de problèmes particuliers qu’ils rencontrent en matière de vie personnelle et/ou familiale. [4]

Notes :

[1] Cf. Paul VI, Humanae vitae, (Lettre encyclique sur le mariage et la régulation des naissances), , 1968, n.14. ( Voir aussi François SEDGO, SIDA, Prévention, Education, Solidarité, UniTor, 1991.)

[2] Discours de Pie XII aux congressistes de l’Union Catholique Italienne des sages-femmes, le 29 octobre 1951, cité par la Congrégation pour la doctrine de la foi, dans son « Instruction sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation », Typographie Polyglotte Vaticane, mars 1987, p.31.

[3] Ibidem.

[4] Ce commentaire, nous l’avons composé avant que le pape Benoît XVI ne se prononce sur la question de l’utilisation du préservatif dans l’avion qui le conduisait au Cameroun, le 17 mars 2009. En effet, jusqu’à cette date aucune position n’avait été prise officiellement par les autorités de l’Eglise. Les propos du pape portaient plutôt sur la stratégie de lutte contre le VIH par la vulgarisation à grande échelle du préservatif présenté comme seul moyen de lutter contre la pandémie. Cette déclaration du pape a été mal présentée et a fait l’objet d’extrapolation par les médias. Ce qui a suscité des réactions négatives, notamment en Occident. Mais en vérité, dans sa déclaration, le pape plaide pour une autre façon de lutter contre la pandémie plutôt que de se focaliser sur le préservatif en omettant une vraie éducation des personnes et en oubliant que le préservatif n’est pas sûr à 100 %. Voici quelques termes justes des paroles du pape : « Je dirais qu'on ne peut pas surmonter ce problème du sida uniquement avec des slogans publicitaires. Si on n'y met pas l'âme, si on n'aide pas les Africains, on ne peut pas résoudre ce fléau par la distribution de préservatifs : au contraire, le risque est d'augmenter le problème. La solution ne peut se trouver que dans un double engagement : le premier, une humanisation de la sexualité, c'est-à-dire un renouveau spirituel et humain qui apporte avec soi une nouvelle manière de se comporter l'un avec l'autre, et le deuxième, une véritable amitié également et surtout pour les personnes qui souffrent, la disponibilité, même au prix de sacrifices, de renoncements personnels, à être proches de ceux qui souffrent. Tels sont les facteurs qui aident et qui conduisent à des progrès visibles. Je dirais donc cette double force de renouveler l'homme intérieurement, de donner une force spirituelle et humaine pour un juste comportement à l'égard de son propre corps et de celui de l'autre, et cette capacité de souffrir avec ceux qui souffrent, de rester présents dans les situations d'épreuve. Il me semble que c'est la juste réponse, et c'est ce que fait l'Eglise, offrant ainsi une contribution très grande et importante. Nous remercions tous ceux qui le font. ».


Abbé Jacob YODA
Archidiocèse de Ouagadougou
Novembre 2009

Suivez-nous sur Facebook