« Église et cinéma, une histoire ratée ? »

 Bien chers frères et sœurs en Christ,

Au nom de notre Église Famille de Dieu à Ouagadougou et au Burkina Faso, je prends la parole, à l’occasion de cette journée dite Journée chrétienne du cinéma pour saluer tous nos amis cinéastes et cinéphiles venus se joindre à nous pour célébrer l’événement au cours de cette Eucharistie.

Le thème retenu pour célébrer la fête du cinéma en Église Famille de Dieu est fort évocateur : « Église et cinéma, une histoire ratée ? ». C’est pour nous l’occasion de mener ensemble une rétrospective sur la place et le rôle que joue et doit jouer notre Église Famille de Dieu dans le septième art. En outre, la présente opportunité nous invite à nous interroger sur ce que le cinéma peut apporter à notre Église  et sur ce que notre Église Famille de Dieu peut apporter au Cinéma Africain.

I- Problématique Église-Cinéma

Pour mémoire, en 1895, lorsque les Frères lumières inventent le cinématographe, l’Église se montre d’emblée très méfiante vis-à-vis de ce nouveau média. Certains évêques en Europe dénoncent même son influence néfaste et contraire à la morale. Pourtant en France malgré cette suspicion, une entreprise catholique « La Bonne Presse » y voit un intérêt pastoral. A l’avenir pense-t-elle, le cinéma pourrait servir à enseigner le catéchisme en image comme le font déjà les plaques de verres lumineuses. La « Bonne Presse » lance alors « Le Fascinateur », la première revue catholique entièrement consacrée au cinéma. Dans les années 1930, l’Église s’ouvre enfin au septième art.

Encouragé par Pie XI dans son encyclique « Vigilanti Cura » c’est-à-dire, Le Cinéma dans le Monde d’aujourd’hui,  les catholiques créent des structures destinées à promouvoir les bons films et à  les classer suivant un système de cotation. A la fin des années 1960, la télévision supplante le cinéma et devient le nouveau média de masse dans lequel les catholiques s’investissent par le biais des programme religieux ; cependant l’Église s’intéressent toujours au cinéma même si ces relations avec le septième art deviennent parfois houleuses dès que les films traitent de sujets religieux. On se souvient des violentes réactions à la sortie de La dernière tentation du Christ (1988) de Martin Scorsese basé sur le livre de Nikos Kazantzakis publié en 1955 et le film Amen (2002) de Costa-Gavras.

Mais celui qui rafle la mise de la plus grande contestation catholique est La dernière tentation du Christ car le 23 octobre 1988, alors que le film est encore à l’affiche, des fondamentalistes mettent le feu au cinéma de l’Espace Saint Michel à Paris. Bilan : 14 blessés dont 4 graves.

Alors « Église et cinéma, une histoire ratée ?» Sur la question, notre conférencier nous donnera des éléments de réponse après cette messe. Ce qui est certain, c’est que l’Église continue de jouer un rôle important dans la promotion d’un cinéma qui défend les valeurs humaines et spirituelles en décernant des prix dans des festivals internationaux tel celui du festival de Cannes : Le « Prix œcuménique au Festival de Cannes » qui existe depuis une quarantaine d’années et  le « Prix SIGNIS » au FESPACO  de Ouagadougou qui existe il y a plus d’une dizaine d’années… C’est dire que  l’Église a donc quelque chose à apporter au cinéma tout comme le cinéma a quelque chose à apporter à l’Église Famille de Dieu.

En guise d’illustration, l’une des principales activités de la commission épiscopale des communications sociales du Burkina consiste en la formation des futurs prêtres dans les grands séminaires à l’analyse filmique. Il s’agit de mettre en place une véritable éducation aux médias et d’amener les futurs prédicateurs de l’Évangile et les chrétiens à une utilisation saine des médias dont celui du septième art, le cinéma. Il n’est plus de doute qu’aujourd’hui les médias : radios, cinéma, télévision etc. occupent une place de plus en plus importante, guident et inspirent les comportements individuels, familiaux et sociaux.

II- A la lumière de la transfiguration de Jésus

 Frères et sœurs, les textes bibliques de ce deuxième dimanche de carême que nous venons d’écouter nous parle de la Transfiguration de Notre Seigneur sur le Mont Tabor. Dans la Bible, la montagne est surtout le lieu symbolique de la rencontre de Dieu. C’est sur le Mont Sinaï que Moïse, au cœur même de la nuée ténébreuse, rencontre Dieu qui lui parle «  comme un ami parle à un ami ». C’est sur l’Horeb que le prophète Elie, au terme d’une fuite éperdue, fait l’expérience de Dieu, par-delà ses terreurs et l’expérience de sa fragilité, dans « le murmure d’une brise légère. ». La montagne est encore le lieu de l’expérience étrange et terrifiante d’Abraham à qui un Dieu incompréhensible demande de sacrifier son enfant. L’ancêtre des croyants manifeste une obéissance sans faille aucune. Et quelle troublante histoire aussi que ce dialogue, au-delà des pesanteurs du temps et de l’espace, de Jésus avec Moïse et Elie dans la nuée, en présence de Pierre, Jacques et Jean (Mc 9, 2-10).

Le premier message de ces deux lectures est donc un appel à avancer, un appel à tout faire pour que notre foi devienne de plus en plus comme celle d’Abraham puis celle de Pierre, Jacques et Jean. Même dans les épreuves les plus douloureuses, Dieu nous invite à lui faire confiance. Le second message c’est la nécessité de la prière pour recevoir la force et le courage de poursuivre la route. La montagne où Jésus conduit ses disciples est à la fois Thabor et Sinaï, puisque s’y retrouvent Jésus et ses apôtres ainsi que Moïse et Elie.  A l’instar des trois Apôtres, toutes les communautés chrétiennes et tous les hommes sont invités à « écouter Jésus », le nouveau Moïse promis par Dieu (Dt 18,15) mais qui le dépasse infiniment. 

Mais en réalité qu’est-ce que la Transfiguration pour nous aujourd’hui ? La Transfiguration est  une expérience courante pour ceux qui savent voir. Plusieurs d’entre nous croyants ou pas, ont en effet déjà vécu cet événement. Quelques exemples : dans un visage de souffrance, on croise soudain un regard vivant ; dans un corps vieilli, on perçoit une intensité. On se souvient encore du pape Jean Paul II et de sa conviction : « tant que j’aurai encore un peu de souffle en moi, j’annoncerai l’évangile. Que c’est beau ! ». La Transfiguration exprime ce mystère vérifiable : dans la chair fragile, une ferveur et un éclat se laissent parfois constater.

C’est que la chair dont nous sommes faits parle ; la chair témoigne que la vie qu’elle a accueillie se trouve bien en elle, que cette vie ne vient pas d’elle. La vie vient de plus loin que nous : ce qu’on trouve beau dans certains corps flétris, flageolants, c’est cette évidence de la vie alors que les apparences disent l’usure, la dégradation. La liturgie nous présente Jésus transfiguré aujourd’hui, mais chaque jour, ses disciples sont appelés  à voir les êtres transfigurés que l’on croise en chemin. Il les entraîne à déjouer les faux semblants.

Jésus éduque les siens à voir à la manière de Dieu, dans la lumière de l’Esprit Saint dont lui-même est rempli. Qui aurait cru qu’une prostituée de village, apportant un parfum dont elle masse les pieds de Jésus, serait un jour présentée en pleine lumière, dans la beauté de son geste parfait ? Qui aurait cru qu’un bandit crucifié à côté de Jésus ferait briller pour nous la lumière du Paradis où il se rend avec Jésus ? Qui aurait cru qu’un corps crucifié deviendrait l’image rayonnante de notre foi ? Qui aurait cru que ce même corps, mis au tombeau, apparaîtrait dans la lumière du petit matin, au premier jour de la semaine ? Ce sont des expériences de transfiguration : la chair envahie par la vie venue du Père, la chair rendue vivante par l’Esprit, manifeste qu’elle n’a pas dit son dernier mot, qu’on n’a pas encore tout vu de sa gloire.

III- Attentes de l’Église Famille de Dieu ?

Chers amis cinéastes et cinéphile, chers réalisateurs et producteurs, chers comédiens,  qu’attend  l’Église Famille de Dieu du cinéma Africain ? Me faisant l’écho des préoccupations des pasteurs de la Ière Assemblée Spéciale pour l’Afrique du Synode des Evêques, je voudrais laisser à votre réflexion et méditation deux interpellations fortes :

- Comme univers culturels nouveaux au service de la communication, doté de son langage propre et surtout de ses valeurs et contre-valeurs spécifiques…, le cinéma et les médias en général ont besoin d’être évangélisés. Un défi majeur se pose alors : comment pénétrer cette nouvelle civilisation des vraies valeurs éthiques de l’Évangile du salut apporté par Jésus-Christ ? 

- En outre les médias doivent s’évertuer à être la voix des sans-vois afin que partout la dignité humaine soit reconnue à toute personne et que l’homme soit toujours au cœur de tous les programmes politiques, environnementaux ainsi que de tous les programmes de développement. Les médias doivent jouer leur fonction prophétique en dénonçant les maux, les injustices… En prenant appui sur les principes chrétiens et sur la doctrine sociale de l’Église, les chrétiens qui travaillent professionnellement dans le monde des médias, devront propager le Bien, le Vrai, le Beau et contribuer à l’Evangélisation du monde, à l’émergence d’un monde digne de Dieu et des hommes.

Que nos petits et grands écrans soient des lieux d’une véritable transfiguration. Vous avez pour mission, dans l’obscurité du quotidien, de faire un patient travail d’ouverture de la chair à la vie lumineuse qui vient de Dieu. C’est la raison d’être du « Prix Signis » à ce Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou. 

La Transfiguration  dont il est question aujourd’hui n’est pas un miracle isolé : c’est un régime de vie. Dans ce qui n’a l’air de rien, la splendeur de Dieu s’installe. Nous allons d’ailleurs poursuivre cette eucharistie dans ce même registre : un peu de pain, un peu de vin, pas grand-chose. C’est pourtant la chair glorieuse du Christ que nous allons recevoir !

Que l’Eucharistie de ce jour nous transforme. Ainsi, avant de dire un mot cruel à quelqu’un, nous allons nous rappeler de ceux qui sont muets. Avant de nous plaindre du goût de la nourriture nous allons penser à ceux qui n’ont rien à manger. Avant de nous plaindre de notre conjoint, de lui faire des infidélités, nous allons penser à ceux qui implorent Dieu pour avoir un conjoint. Avant de nous plaindre de la vie, nous allons penser à ceux qui sont arrachés à la vie trop tôt.  Mes frères, mes sœurs, quand des pensées déprimantes s’abattent sur nous, faisons un effort pour sourire et dire : je suis en vie, donc tout est encore possible. C’est à cette condition que nous allons faire l’expérience de la Transfiguration de Notre Seigneur.

Bon temps de carême, bonne montée vers Pâques et bonne fête du cinéma.Dieu vous bénisse ! Amen !

+Philippe Cardinal OUEDRAOGO,
Archevêque Métropolitain de Ouagadougou