Très Saint Père, Éminences, Excellences,

L’Instrumentum laboris (cf. n° 25) du présent Synode Extraordinaire aborde explicitement le phénomène de la polygamie cinq fois (n° 16 ; n° 25 ; n° 27 ; n° 65 ; et n° 90). Diverses Conférences épiscopales d’Afrique, de l’Océanie et de l’Est asiatique retiennent que la pratique de la polygamie est considérée comme une institution naturelle tout comme répudier une femme stérile qui n’est pas en mesure de donner des enfants à son mari.

Dans sa Constitution pastorale « Gaudium et Spes », le Concile Vatican II s’exprime sur le mariage et la famille en ces termes : « La dignité de cette institution ne brille pas partout du même éclat puisqu’elle est ternie par la polygamie, l’épidémie du divorce, l’amour soi-disant libre ou d’autres déformations. » (Gaudium et Spes 47, § 2). Le divorce-remariage constitue d’une certaine manière, une forme de polygamie, c’est-à-dire la polygamie successive différente de la polygamie simultanée, (trois, quatre épouses), mono-locale que connaissent certaines sociétés d’Afrique ou d’Asie par exemple. Il peut s’agir de la polygynie, c’est-à-dire un homme avec plusieurs femmes ou de la polyandrie, une femme avec plusieurs hommes.

Au cours des siècles, la réflexion théologique et canonique fut focalisée sur le problème du divorce-remariage et ne s’est pratiquement pas préoccupée de la polygamie simultanée. Il aura fallu la colonisation et les grandes épopées missionnaires du XVIème siècle pour que l’Église soit confrontée à des problèmes analogues à ceux qu’avait dû résoudre l’apôtre Paul dans les communautés chrétiennes naissantes chez les Gentils (cf. 1 Co 7).

Le monde gréco-romain et européen en général, même s’il usait largement du divorce, ignorait la polygamie simultanée.

- Un des problèmes pastoraux épineux des divorcés-remariés est leur admission à la table Eucharistique et à la Pénitence.

- Il existe des cas de polygames convertis pour lesquels, il est difficile d’abandonner la deuxième ou la troisième épouse, avec lesquelles ils ont d’ailleurs des enfants, et qui veulent être baptisés et participer à la vie ecclésiale.

- La conversion des polygames à la foi chrétienne créait et crée toujours des problèmes pastoraux épineux, souvent sans solution pour leur admission au baptême ainsi que le baptême de leurs conjoints et de leurs enfants.

Au XVIème siècle, trois (3) Constitutions pontificales ont tenté d’édicter des directives pour l’admission des polygames au baptême :

- La constitution « Altitudo » du Pape Paul III, 1er juin 1537.

- La constitution « Romani Pontificis » de Pie V, 2 Août 1571.

- La constitution « Populis » de Grégoire XIII, 25 Janvier 1585.

Ces constitutions envisagent le cas du polygame qui a plusieurs épouses, selon la coutume locale, et qui demande le baptême. Dans tous les cas, le polygyne doit choisir une seule conjointe (unam ex illis) et renvoyer les autres. Ce principe jurisprudentiel, constante depuis le XVIème siècle, a été simplement repris dans le nouveau Codex Iuris Canonici, en son Canon 1148 : le catéchumène polygame qui se convertit et demande le baptême doit choisir n’importe quelle des femmes, « unam ex illis » et renvoyer les autres. C’est dire que la polygamie est en contradiction avec la propriété de l’unicité du mariage chrétien. La monogamie est donc normative pour tous les disciples du Christ, et constitue une condition « sine qua non » pour la réception du baptême. Alors, comment comprendre, interpréter et appliquer le principe théologique qui enseigne que « l’Église est sacrement universel de Salut ». En outre, dans « Evangelii Gaudium », notre Saint Père François affirme bien que « l’Église est appelée à être toujours la maison ouverte du Père (…), la maison paternelle où il y a de la place pour chacun avec sa vie difficile » (Evangelii Gaudium, n° 47).

Permettez-moi de conclure par des souhaits et perspectives.

Nombreux et complexes sont les défis pastoraux sur le mariage et la famille.

1. A l’instar de ce qui se fera au Synode d’octobre 2014 sur le problème des divorcés-remariés et autres situations matrimoniales difficiles, pourrait-on prendre en compte le problème pastoral épineux du baptême des polygames selon la coutume locale ? Comment responsabiliser davantage les conférences épiscopales concernées ? Devant toutes les situations conjugales difficiles se cachent d’énormes souffrances. La véritable urgence pastorale est de promouvoir une pastorale « ouverte et positive », source de salut pour tous.

2. Un dicton populaire enseigne que : « mieux vaut prévenir que guérir » ; notre pastorale familiale gagnerait à intensifier les efforts pour promouvoir une « pastorale préventive.» Exemples :

- Préparation au mariage des jeunes

- Accompagnement des couples

- Récollections et retraites pour couples

- Création de centres de pastorale familiale

- Favoriser les associations de couples, etc.

- Soutenir les baptisés à vivre l’idéal du mariage chrétien.

3. Dans un monde en pleine mutation, laxiste, hédoniste et relativiste, notre Église devrait avoir le courage de jouer son rôle prophétique, accepter de faire la différence par rapport aux valeurs éthiques souvent en contradiction avec les valeurs évangéliques.

4. Notre Saint Père, le Pape François à Lampedusa a fortement dénoncé la mondialisation de l’indifférence. Nous constatons que les grands de ce monde écrasent les petits et les pauvres… C’est une véritable dictature du relativisme, de la pensée unique…

Exemples :

- L’idéologie du gender

- La libéralisation de l’avortement ou l’adoption des mariages homosexuels comme conditions « sine qua non » pour accéder aux fonds de développement, etc.

L’Église en bon samaritain, Mater et Magistra, pourrait courageusement défendre les droits et la dignité des peuples, promouvoir les valeurs évangéliques et édifier ainsi un monde plus digne de Dieu et des hommes.

 

+Philippe Cardinal OUEDRAOGO,
Archevêque Métropolitain de Ouagadougou