Rencontre des religions (Sant ‘Eglidio) à Anvers en Belgique
Conférence du 8 septembre 2014

Introduction

Le mot « solidarité » présente une certaine complexité. En dix minutes, nous ne pouvons qu’effleurer des pistes de réflexions qui pourraient faire l’objet de nos échanges. Le terme « solidarité » a évolué pour désigner le lien social d’engagement et de dépendance réciproques entre des personnes, généralement liées par une communauté de destin : famille, village, profession, nation, etc… cela implique l’acceptation volontaire et la prise en compte des besoins des autres.

Pour le Magistère de l’Église, la solidarité n’est pas un sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel pour les maux subis par des proches ou des personnes éloignées. Elle est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien de tous. Selon le Pape François, « il demande de créer une nouvelle mentalité qui pense en termes de communauté, de priorité de la vie de tous, sur l’appropriation des biens par quelques-uns ». (Evangelii Gaudium, n°188).

En fonction du temps (10 mn), notre communication se développera en deux points :

- Nous partirons des repères bibliques et ecclésiologiques

- Comme fondements solides pour construire un monde solidaire et fraternel

I – Repères bibliques et ecclésiologiques

Pour les chrétiens, le fondement de la solidarité se trouve dans la création et dans l’alliance où Dieu se fait partenaire de l’humanité. Le point de repère ultime de cette perspective est Jésus de Nazareth, l’Homme-Dieu, solidaire de toute l’humanité pècheresse jusqu’à offrir sa vie pour le bonheur et le salut de tous (cf. He 5, 1-10). Et comme l’exprime si bien le saint Pape Jean-Paul II dans son Encyclique « Sollicitudo rei socialis », Jésus de Nazareth fait resplendir devant les yeux de tous les hommes le lien entre solidarité et charité, et en éclaire toute la signification. « A la lumière de la foi, la solidarité tend à se dépasser elle-même, à prendre les dimensions spécifiquement chrétiennes de la gratuité totale, du pardon et de la réconciliation. Alors le prochain n’est pas seulement un être humain avec ses droits et son égalité fondamentale à l’égard de tous, mais il devient l’image vivante de Dieu le Père, rachetée par le sang du Christ et objet de l’action constante de l’Esprit Saint. Il doit donc être aimé, même s’il est un ennemi, de l’amour dont l’aime le Seigneur, et l’on doit être prêt au sacrifice pour lui, même au sacrifice suprême : donner sa vie pour ses frères (cf. 1 Jn 3, 16) Jean-Paul II, Encyclique « Sollicitudo rei socialis, n° 40, 1988).

A la suite de son Maître et Seigneur, l’Église a la mission d’être « réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire » (Gaudium et Spes, n°1). C’est ainsi que dans sa doctrine sociale, le principe de solidarité a pris progressivement une place grandissante.

Dans l’Encyclique « Quadragesimo anno » de Pie XI (1931) suivi du décret conciliaire (Gaudium et Spes, 1965), toute l’Église est invitée à être solidaire avec le genre humain. Ainsi, tous les fidèles laïcs des associations, des mouvements et des groupes spirituels ou apostoliques devront être formés en vue de mener une action solidaire dans une participation responsable à la vie et à la mission de l’Église (cf. Jean-Paul II, Christifideles laicii, n° 29 AAS 1989).

L’Évangile de Jésus-Christ appelle à une solidarité attentive aux droits légitimes de chaque homme et de chaque femme ainsi que de chaque peuple. Et la doctrine sociale de l’Église incite à passer à l’action pour promouvoir « le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes responsables de tous », la charité devant être la source d’une telle solidarité.

II – Pour un monde solidaire et fraternel

Le Christ a voulu entrer dans le jeu de la solidarité humaine en assumant la nature humaine par son Incarnation. Il parfait et achève le caractère communautaire de l’humanité entière par une solidarité surnaturelle et en fait donc une seule famille (AL, n°8). Dans cette perspective, le monde n’est rien d’autre qu’un village (village global), un monde interdépendant et solidaire. L’Église, en tant que Famille de Dieu sur la terre, a la mission d’être un signe vivant et un instrument efficace de la solidarité universelle en vue d’établir dans le monde de ce temps une communauté de justice et de paix aux dimensions de la planète. Mais ce monde meilleur n’adviendra que s’il est construit sur des fondations solides, sur de sains principes éthiques et spirituels tels que :

- le développement intégral et solidaire

- la destination universelle des biens et des richesses

- la promotion de la civilisation de l’amour et la mondialisation de la solidarité.

1° Un développement intégral et solidaire

Dans la situation mondiale actuelle, on constate l’existence de nations riches et prospères qui vivent dans l’opulence à côté de nations plus désavantagées qui stagnent dans la pauvreté. Il faut que les pays nantis prennent conscience qu’ils ont la responsabilité de soutenir les efforts des pays qui luttent pour sortir de leur pauvreté et de leur misère. Cela n’est possible que par un sursaut de solidarité, - combien nécessaire pour un développement durable,- gage d’une humanité réconciliée, dans la justice et la paix. Comme le souligne avec pertinence, le Pape Paul VI, « le développement est le nouveau nom de la paix » et il est essentiellement le passage des conditions de vie moins humaines à des conditions de vie plus humaines ». Ce passage implique, outre les valeurs économiques, l’acquisition de la culture, le respect de la dignité des autres, la reconnaissance « des valeurs suprêmes, et de Dieu qui en est la source et le terme » (cf. Paul VI, Populorum progressio, AAS 59, 1967 ; Jean-Paul II, (Sollicitudo rei socialis, AAS 80, 1988).

Il faudrait œuvrer pour consolider les relations socio-politiques entre les nations, et prêter une oreille plus attentive et compatissante aux cris d’angoisse des nations pauvres qui appellent à l’aide dans des domaines variés tels : l’éducation, la santé, le fardeau lourd de la dette, l’horreur des conflits et guerres fratricides avec ses conséquences désastreuses. L’Ukraine, l’Irak, le Mali, le Soudan… continuent d’être des champs de bataille. Le développement solidaire implique la coopération de tous pour résoudre les causes structurelles de la pauvreté et promouvoir le développement intégral des pauvres, et poser des gestes concrets et quotidiens devant les misères humaines, des gestes tels :

• la dénomination de la mondialisation de l’indifférence par le Pape François à Lampedusa

• ou encore la subvention des 140 millions d’Euros offerts par la commission européenne le 6 septembre 2014 pour lutter contre l’épidémie Ebola en Guinée, Sierra Leone, Libéria, Nigéria…

2° Mondialiser la solidarité

« La planète appartient à toute l’humanité et est pour toute l’humanité », nous rappelle le Pape François dans Evangelii Gaudium, n°190). Ainsi, le seul fait d’être nés en un lieu avec moins de ressources ou moins de développement ne justifie pas que des personnes vivent dans une moindre dignité. La solidarité oblige à reconnaître la fonction sociale de la propriété et la destination universelle des biens. Ainsi les plus favorisés doivent renoncer à certains de leurs droits pour mettre, avec une plus grande libéralité, leurs biens au service des autres. Il faut élargir le regard, ouvrir les oreilles et le cœur aux cris des peuples les plus pauvres pour permettre à tous de devenir eux-mêmes les artisans de leur destin… (cf. Evangelii Gaudium, n°190).

L’Église, guidée par l’Évangile de la miséricorde et de l’amour de l’homme doit œuvrer pour promouvoir la justice et la paix en collaboration avec les hommes de bonne volonté. Pour ce faire, nous devons tous dire non et non

- à l’économie d’exploitation et à l’oppression de l’homme par l’homme

- à l’économie de l’exclusion et de la disparité sociale

- à l’idolâtrie de l’argent qui nie le primat de l’être humain sur l’avoir

- à la dictature de l’économie sans visage humain (cf. Evangelii Gaudium, n°55).

C’est à ces conditions que la mondialisation de la solidarité et de la charité sera possible, comme expression de la fraternité universelle. (cf. Africae munus, n°86).

3° Construire la « civilisation de l’amour »

La solidarité, est l’un des principes fondamentaux qui oriente et guide l’Église dans sa vision chrétienne de l’organisation politique et sociale (cf. Jean-Paul II, Centesimus annus, 10 AAS 83, 1991, n° 805-806. Ce principe est illuminé par la loi de l’amour qui doit caractériser la vie des disciples du Christ. Seule la force de l’amour peut en effet, transformer le monde et l’orienter vers le bien. « Le comportement de l’homme est pleinement humain quand il naît de l’amour, manifeste l’amour et est ordonné à l’amour. », enseigne l’Église. (Compendium de la doctrine sociale de l’Église, n° 174, 2008). D’où la nécessité d’imprégner les rapports sociaux et tous les secteurs de la vie humaine de cette force de l’amour pour rendre la société plus humaine, plus digne de la personne. Il faudrait toujours dans ce sens, revaloriser l’amour dans la vie sociale en en faisant la référence constante et suprême de toute action au niveau politique, économique et culturel, pour que tout soit ordonné au respect la dignité humaine et au bien de tous. En somme, vivre la solidarité authentique dans le sens évangélique, revient à édifier, selon une expression du Pape Paul VI, la « civilisation de l’amour ». Seul un monde modelé par cette civilisation de l’amour, pourra jouir d’une paix authentique et durable à travers le développement intégral de l’homme et la sauvegarde du Bien commun. Ainsi, dans notre monde actuel, la solidarité enseignée par l’Église, s’affirme comme la voie royale qui mène vers la naissance d’un monde nouveau, un monde de justice, d’amour et de paix.

Conclusion

Au nombre des sujets qui suscitent aujourd’hui un intérêt général, figurent la justice, la paix, la solidarité des peuples…La solidarité constitue – à n’en point douter – une valeur positive et un défi de la culture moderne ? Le monde prend de plus en plus conscience de la réciproque dépendance de tous les hommes et de tous les peuples dans une nécessaire solidarité. Et c’est là où éclate avec évidence le rôle combien salutaire et prophétique de l’Évangile qui appelle à une solidarité attentive en faveur de tous, notamment les plus pauvres, au don total exprimant le respect et l’amour : la charité et l’amour constituent les véritables sources de la solidarité pour l’édification d’un monde de réconciliation, de justice et de paix.

+Philippe Cardinal OUEDRAOGO,
Archevêque métropolitain de Ouagadougou